Cerise Doucède | PHOTOTECH
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PHOTOTECH

 

p90-91

Texte Claire Noriega

Cerise Doucède défie la gravité

Animaux en origami qui lévitent dans la chambre d’un enfant, l’ensemble du petit- déjeuner d’un couple qui virevolte dans les airs, des pommes qui dansent dans la cuisine… Cerise Doucède profite d’un instant d’égarement de ses modèles pour mettre en image leurs pensées au travers de décors animés et irréels qu’elle créé de toutes pièces. Au final, ses photographies sèment le doute et interrogent le spectateur l’invitant à explorer un tableau figé et suspendu entre réalité et fiction. La photographe, lauréate du prix HSBC 2013, nous emmène dans les coulisses de la conception de sa série Egarements.

 

 

Originaire de Toulon, Cerise Doucède débarque à Paris en 2008 pour préparer un Master en arts graphiques. Très vite, elle se rend compte que « la photographie qui n’était au départ qu’un outil pour figer ses créations devient peu à peu le but même de celles-ci ». Tellement, qu’une fois son master en poche, elle décide de compléter sa formation en passant par l’école de photo Speos, à Paris, dont elle sortira major de promotion
en 2010, avant de décrocher le Prix du Royal Monceau Raffles en 2011 puis le prix HSBC en 2013. Retour sur les débuts d’un jeune artiste prodige.

 

Le quotidien comme terrain de jeu

Pendant son cursus à Spéos, elle entame une première série intitulée Genèse, puis une autre qui met en images des personnages surpris dans un moment d’absence dans le décor de leur vie quotidienne. « Cette série que j’ai appelé Quotidien est née d’un rêve. Dans celui-ci, j’ai vu les feuilles d’un livre qui s’envolaient. J’ai essayé de transformer ce rêve en installation, en suspendant en l’air les feuilles d’un grand livre, chez moi. Je l’ai photographié, mais je trouvais qu’il manquait quelque chose. J’ai donc laissé le décor en place et deux ou trois jours après, je l’ai réutilisé pour me photographier moi-même, assise à un bureau, perdue dans mes pensées, devant un livre dont les feuilles s’envolaient. » A partir de là, naît sa série Egarements. « Cette série est la première de mes séries, que je considère comme aboutie. Elle met en scène ces moments où l’on se perd et où l’on s’égare. J’ai voulu mettre l’accent sur les moments d’absence qui font du personnage un être distant, évaporé et vide de son essence. Perdu dans ses pensées, les décors prennent vie, les objets s’envolent, s’entassent, se regroupent… Cette série est pour moi une façon de dévisager le quotidien avec un peu de fantaisie. C’est peut-être aussi une façon d’aller plus loin dans l’exploration du portrait, dans le sens où l’on ne voit pas uniquement les modèles et leur attitude, mais aussi leurs pensées se matérialiser. C’est donc aussi quelque part le moyen de montrer l’invisible », explique Cerise.

 

Des installations conçues à la main à l’aide de fils

Ses portraits mettent en scène des sujets sans expression, apparaissant déconnectés de leur environnement et comme perdus dans un rêve éveillé. « Lors de la prise de vue, je demande à la personne, que je photographie toujours chez elle, de prendre la pause. Ensuite, je lui demande juste de bouger les yeux lentement de droite à gauche et j’attends l’instant où la personne commence à penser à autre chose ou à clairement s’ennuyer. Et, à un moment donné, le rêve prend le dessus et le décor prend vie. »
Et quels décors ! Les objets s’animent, s’envolent et défient les lois de la gravité en virevoletant dans les airs. Tasses, soucoupes, pommes, origamis, pelotes de laine, aiguilles à tricoter… c’est tout l’univers et l’imaginaire de ses sujets qui se met à danser autour d’eux ! Si au premier coup d’oeil, on pense à des photomontages, il n’en est rien… En effet, si vous observez bien les photographies de Cerise, vous verrez les fils qui retiennent les objets dans l’air. Et pour cause, ses décors sont de véritables installations soigneusement pensées à l’avance et confectionnées à la main par la photographe ! « Pour les premières images de la série, ça me prenait facilement trois jours pour installer le décor. Maintenant mon matériel a évolué et je suis aidée donc ça va plus vite, mais il faut tout de même au moins une journée pour mettre en place un décor. Concrètement, une fois chez la personne, j’installe une structure métallique composée de quatre pieds surmontés d’un grillage auquel j’accroche des fils au bout desquels j’attache les objets que je veux suspendre dans le vide. »

 

 

Des liens qui mêlent fiction et réalité

Lorsqu’on lui demande pourquoi elle n’utilise pas un logiciel de retouche pour réaliser ses photographies, Cerise répond : « concevoir l’installation et l’inscrire dans la réalité est pour moi une évidence. Et puis, c’est génial de voir la réaction des gens dans leur nouveau décor, surtout quand c’est un enfant. Je ne me vois pas leur demander de poser en imaginant quelque chose qui n’existe pas. Enfin, le fait que l’on puisse voir les fils à l’image me permet de jouer encore un peu plus sur l’ambiguïté entre réalité et fiction, qui existe dans mes images. Quelque part, les fils permettent de raccrocher la scène à la réalité ! » Ceci dit, elle utilise ses talents en graphisme et Photoshop « pour effacer les pieds de sa structure dans l’image finale qu’est photographiée deux fois, avec et sans le décor » et « n’hésite pas si besoin à ajouter ou enlever un objet qui ne colle pas avec le reste, ou encore à pousser légèrement le contraste pour réveiller ses scènes ». Au final, ces installations qui défient la gravité, une fois photographiées forment des tableaux figés qui illustrent un instant suspendu entre le réel et l’imaginaire dans une lumière à la fois douce et enveloppante – elle utilise deux flashs de studio et des poses longues afin de mêler lumière naturelle et lumière artificielle – qui invite à la rêverie mais interroge aussi celui qui les regardent. Qui sont ces personnages ? Pourquoi pensent-il à cela ? Sont-ils heureux ou tristes ? On laisse filer nos pensées pour finir par, à notre tour, entrer dans un état de conscience modifiée et s’égarer dans la contemplation de ce lien intime entre réel et imaginaire que Cerise a su si bien tisser pou nous. Merci Cerise…

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